Mi-mars 2020. Covid-19, coronavirus, pandémie, confinement. Une épidémie qui laisse toute la planète hébétée, qui nous met au ralenti, qui chamboule toutes nos habitudes. Les miennes y compris...
Par mesure de précaution pour mes patients et pour moi, n'ayant aucun moyen de me protéger et des les protéger, le dimanche 15 mars, j'informe mes patients que tous les rendez-vous sont annulés, que le cabinet est fermé jusqu'à nouvel ordre et que je les recontacterai dès que possible. Bon allez, à ce stade là, je me dis que si ça ne dure pas trop longtemps, ce sera comme pendant les vacances...
Le téléorthophonie est dans un coin de ma tête, mais pour l'instant, il est interdit de la pratiquer en France. J'envoie donc des exercices par mail à mes patients qui le souhaitent, je passe quelques coups de fil, mais je sens bien qu'il n'y a pas LE "truc". Mais il est sûrement nécessaire que tout le monde prenne ses marques, entre le télétravail des parents, l'école à la maison, le confinement en couple . Et pour moi non plus, ce n'est pas simple, avec un début de confinement qui est synonyme de retour au rythme de noctambule de mes jeunes années, avec les insomnies et les changements de rythmes qui vont avec... Oups ! La période s'annonce difficile, mais je me dis que de jolies choses peuvent en naître.
Jeudi 26.03.2020 : la FNO, notre syndicat représentatif, nous informe que le télésoin en orthophonie est désormais autorisé. Youhouuuuuu! Je suis ravie, mes patients ne vont pas rester sans soin !
De nombreuses réflexions techniques et cliniques arrivent : Quelle plateforme utiliser? Faut-il le proposer à tous les patients? Ai-je l'équipement nécessaire ? Et quelles activités pourrai-je proposer ? Des questionnements partagés par de nombreux orthophonistes sur des groupes Facebook, mais aussi sur les blogs comme "Paksa à faire".
1ère étape : je m'inscris au webinaire de Géraldine Robache-Wickert (si vous voulez des infos, c'est ici) qui me permet de me rassurer et de me donner des idées.
NB : depuis, Géraldine a fait un tutoriel destiné spécifiquement aux adhérents de la FNO (si vous êtes adhérent et que vous voulez le voir, c'est ici).
2ème étape : choix d'un logiciel de visioconférence.
Des logiciels de visioconférence, il y en a plein. Voici les critères retenus pour faire mon choix :
- partage d'écran
- tableau blanc
- contrôle de la souris et du clavier par le patient
- annotations
- sécurité
- simplicité d'utilisation
- possibilité de faire des conférences à plusieurs (pour les cours en ligne, et les apéros ;) )
Après avoir comparé Inzeecare (la plateforme mise à disposition gratuitement pour la FNO), Jeetsi Meet et Zoom.us, j'ai finalement opté pour la version payante de Zoom (environ 16€ mensuels, résiliable à tout moment). Elle réunit tous les critères ci-dessus (contrairement à Inzeecare que j'ai trouvé très peu intuitif, et où le contrôle de la souris et du clavier n'est pas possible). Pour la sécurité de Zoom, qui a été grandement critiquée depuis le début du confinement, je l'ai optimisée au maximum en activant la salle d'attente et en demandant d'entrer un mot de passe à la connexion pour éviter les "zoom bombing" (intrusions de personnes dans les réunions) .
NB : la version payante de Zoom permet de faire des réunions d'une durée illimitée de plus de 3 personnes (la version gratuite limite à 40min), d'avoir un numéro de réunion personnel et de programmer les réunions.
3ème étape : lire des données scientifiques sur le télésoin. Est-ce vraiment aussi efficace qu'au cabinet?
Intimement, je suis persuadée que oui. Car, comme dirait Christelle Maillart (et son équipe), "l'outil le plus puissant dont les orthophonistes disposent est le langage qu'ils adressent à leurs patients". (Promis, je ferai un résumé de cet article, bientôt!)
Alors, oui, le télésoin va nous demander beaucoup d'adaptations, de changements d'habitude, de matériels, mais je suis persuadée que, c'est possible, tout simplement parce qu'on est ortho et que le langage adressé aux patients, on l'aura aussi en télésoin.
Et les études scientifiques le montrent. D'ailleurs, Morgane Warnier de l'Université de Liège a traduit une conférence récente de Mérédith Harnold sur les études en téléorthophonie. (article téléchargeable à la fin de l'article). Et les résultats montrent que :
"- le télésoin est dans tous les cas préférable à l'absence de traitement
- la télépratique est un outil : il importe peu que la thérapie soit délivrée en présentiel ou en ligne, tant que le praticien propose une thérapie de haute qualité et EBP".
Me voilà rassurée, go !
4ème étape : contacter tous mes patients
Je les contacte par téléphone ou par mail. J'en appelle certains aussi. Beaucoup de patients sont intéressés, trop chouette ! Je crée un tutoriel que je leur envoie par mail en pdf pour leur expliquer la téléorthophonie et comment se connecter à Zoom (tutoriel téléchargeable en bas de l'article en version pdf et en version modifiable pptx si vous souhaitez le modifier).
5ème étape : organiser mon planning.
Au départ, je donne des RDV avec parcimonie, et je laisse 30 minutes de pause entre chaque patient. A présent, je mets 3 ou 4 consultations et laisse 15 minutes de pause. On ne se refait pas : au cabinet, je suis en retard, en téléortho je suis en retard ! Pas de dépaysement pour mes patients ! :)
Pour envoyer le lien de connexion aux patients, j'utilise soit Google Agenda (mais il a tendance à envoyer des mails sans que je lui demande, du coup, j'évite), soit je leur envoie un mail la veille au soir avec le lien de connexion, l'ID et le mot de passe. J'utilise le même ID pour tous les patients, cela m'évite de me déconnecter entre chacun. Comme la salle d'attente est activée, les patients ne se croisent pas.
On a cru pendant un temps qu'il était nécessaire d'avoir un relevé de connexion pour chaque patient. Mais vu les instructions de la CPAM nous proposant d'utiliser WhatsApp ou Facetime, tout porte à croire que ce n'est pas nécessaire.
Mon avis sur la téléorthophonie ? POUR
Après 3 semaines d'utilisation avec plein de patients différents (adultes avec des troubles neurologiques, enfants avec des troubles du langage oral, des troubles du langage écrit, des troubles du raisonnement...), et bien j'approuve totalement !
J'ai pu observer beaucoup de réactions que je n'avais pas prévues durant les séances... Les enfants inattentifs sont focalisés sur moi et sur l'écran, les adultes sont plus autonomes, ravis de se servir de l'outil informatique et souvent moins dépendants des conjoints et des taxis, les enfants avec des troubles du langage oral, ne pouvant me montrer ce qu'ils veulent, sont bien obligés de me l'expliquer, les parents sont présents et participent aux séances, tout autant qu'au cabinet. Avec beaucoup de patients, se voir tout en parlant, avec un retour auditif dans le micro et visuel à l'écran est extrêmement bénéfique. Les partages d'écran sont également très intéressants au niveau attentionnel, pour le patient et pour moi!
Alors bien sûr, ce n'est pas possible avec tous les patients, en raison de l'accès à Internet, aux nouvelles technologies, etc. Certaines pathologies sont sûrement plus difficilement traitables en téléorthophonie. Cela demande beaucoup d'adaptation de la part de thérapeute (gestion de l'outil informatique, adaptation du matériel) et j'ai globalement l'impression que c'est plus fatigant qu'en présentiel. Mais je suis conquise par l'OUTIL "télésoin", qui, je l'espère, pourra venir en complément des séances en présentiel, nous permettant de réduire les temps de trajet pour certains, et probablement nos listes d'attente.
Et vous? Vos expériences en téléorthophonie? N'hésitez pas à me laisser vos commentaires !
Cet article vous a plu ? En voilà un autre qui pourra vous intéresser : Téléorthophonie : quel matériel technique et de rééducation ?
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carola (samedi, 25 avril 2020 12:20)
Bonjour,
je suis également conquise par la téléorthophonie. Pour le moment, j'ai juste un pb de dos... Peut-être un sujet à aborder aussi, l'ergonomie au télétravail ;)
J'aimerais vraiment continuer après, que cela ne reste pas une mesure dérogatoire pendant le confinement mais que cela devienne une réelle possibilité d'exercice.
Une question que je n'arrive pas à élucider : est-ce que la téléorthophonie en France est/était aussi interdite auprès des expatriés ? J'ai plusieurs retours d'amis me disant qu'ils cherchent désespérément des orthophonistes qui ne soient pas seulement francophones, mais pour qui la langue française est bien la langue maternelle (bref, des orthophonistes français...). Merci pour ce blog !
Claire (samedi, 25 avril 2020 13:39)
Bonjour Carola, et merci beaucoup pour ce message ! :)
J'ai aussi eu un souci de dos et d'épaule, peut-être un sujet à aborder en partenariat avec mes amis ostéo et kiné? :)
Pour ce qui est de la téléorthophonie pour les expatriés, si j'ai bien compris, comme la TO était interdite en France, cela serait revenu à faire un acte Hors Nomenclature, ce qui nous est interdit vu que nous sommes conventionnés. Je ne sais pas ce qu'il en sera par la suite par contre... Si j'ai plus d'informations, je reviendrai les poster ici ! Belle journée.