· 

TDL, bégaiement et sensorialité

 Le bégaiement, je n’y connais pas grand-chose… Les principes généraux bien sûr, les conseils, la guidance, mais j’avoue que mes connaissances ne sont pas très avancées sur le sujet. Alors quand Christine Tournier-Badré, orthophoniste, formatrice et enseignante au CFUO de Limoges sur les bégaiements et les bredouillements m’a contactée, je me suis demandé si elle ne s’était pas trompée ! Mais non, non, pas du tout ! Christine mène un projet de recherche qui s’intéresse aux liens entre l’intégration sensorielle et le tempérament chez les personnes qui bégaient et les personnes qui présentent un trouble développemental du langage. 

 

Cet article sera donc une interview de Christine Tournier-Badré. 

 

Interview

Claire : Peux-tu m'en dire plus sur ce qui t'a amenée à faire le lien entre sensorialité et bégaiement ?

 

Christine : Dans ma pratique, j’ai observé que plusieurs de mes patients qui bégaient présentaient des particularités sensorielles: ils étaient “hyper” ou “hypo” et en tout cas il me semblait que leur façon de réagir à des stimuli sensoriels était un facteur pouvant contribuer au maintien du bégaiement. A une période, en 2018, j’ai eu une sorte de “loi des séries” comme on peut en voir souvent en cabinet: 3 enfants que je venais de recevoir en bilan avaient un hyper-nauséeux et étaient de tout petits mangeurs, ce qui créait en plus du bégaiement une inquiétude majeure chez les parents. Je me suis donc formée sur les troubles alimentaires pédiatriques avec Fanny Guillon-Invernizzi qui nous a parlé du Profil Sensoriel de Dunn (PSD). Cet outil est surtout utilisé dans le domaine des TSA mais il est étalonné en population générale. Il permet de mettre en évidence l’impact dans le fonctionnement quotidien des particularités sensorielles. Il est constitué d’une liste de 125 affirmations décrivant un comportement, à coter de “jamais” à “toujours” par les parents. J’ai trouvé ce questionnaire très intéressant et j’ai suivi la formation des ECPA pour l’utiliser. Les découvertes sur les particularités sensorielles que je faisais rejoignaient aussi mes lectures sur bégaiement et tempérament. Les articles que j’avais lus (de Kurt Eggers notamment) précisaient que les enfants qui bégaient en tant que groupe ont plus que les autres une réactivité émotionnelle importante et des difficultés d’auto-régulation. Je me suis dit que cette réactivité à des stimuli couplée à des difficultés à intégrer les informations des 8 sens (goût, toucher, odorat, vue, ouïe, équilibre, proprioception, sensations internes) pouvait avoir une influence sur le maintien du bégaiement.  

 

Mon hypothèse était qu’un enfant qui commence à avoir des interruptions du flux de sa parole et a des sensations désagréables (hypersensibilités) ou pas assez d’informations sensorielles (hyposensibilités) pourrait logiquement mettre en place des comportements secondaires qui maintiennent ou renforcent le bégaiement. Il ne restait plus qu’à tenter de démontrer si cette hypothèse était juste... 

Nous avons commencé en 2020-2021 avec une étude préliminaire menée par Julie Communal, étudiante à Bordeaux, sur 14 enfants qui bégaient sans troubles associés (ce mémoire est disponible ici). Les résultats étaient encourageants.

 

Claire : Mais que viennent faire les personnes qui présentent un TDL là dedans ? 

 

Christine : Si le choix de la population d'enfants qui bégaient sans trouble associé est pertinent pour une étude préliminaire, il faut bien avouer que le bégaiement est assez rarement présent de façon isolée (Scott, 2018). En effet, il paraît assez cohérent que, si l’enfant n’interprète pas facilement les informations sensorielles, sa production articulatoire et même phonologique risque d'être perturbée. A partir de 2022-2023, j’ai donc proposé à Clément Aunis-Oumghar, orthophoniste, de se joindre au projet. Clément s'intéresse aux interactions entre tempérament, bégaiement et TDL et a traduit le questionnaire de Rothbart (2001, “Child’s Behavioral Questionnaire” ou questionnaire tempéramental). Notre idée est de montrer si des corrélations peuvent être trouvées entre les deux questionnaires, pour éventuellement sélectionner certains items pertinents pour les orthophonistes. Nous voulons aussi savoir si les enfants qui bégaient en tant que groupe (avec ou sans TDL associé) ont des particularités sensorielles et lesquelles. Marguerite Boyer, étudiante à Lyon, a mené la suite de ce travail courageusement l’an dernier. Voici le lien vers son mémoire. Nous entrons donc cette année dans la 3e phase de cette recherche.

 

Claire : Le terme « tempérament » m’étonne. Qu’entends-tu par là ? 

 

Christine : Ah oui, en France c’est très connoté défauts/qualités, mais le terme anglo-saxon “temperament” est très différent. Il désigne davantage le fonctionnement d’un enfant face à un stimulus : est-ce que cet enfant aura une réactivité élevée ou basse (réagit fortement ou non, et revient lentement ou rapidement à un état d’équilibre), et surtout est-ce que cet enfant aura tendance à s’approcher ou à éviter le stimulus? C’est une grille de lecture que je trouve très pertinente à utiliser dans nos cabinets, parce que ces deux aspects vont fortement influer sur l’efficacité de nos traitements. Cela implique aussi une notion d’ajustement, les anglophones parlent de “goodness of fit” ou “poorness of fit”, c’est à dire que les réactions de l’enfant vont rencontrer les fonctionnements des parents, qui ont eux-mêmes leurs propres caractéristiques tempéramentales. Personnellement, que ça soit à mon cabinet ou avec mes enfants, je sais bien que certaines de leurs attitudes vont plus ou moins me faire réagir, et que je vais avoir moi-même des façons de m’auto-réguler plus ou moins ajustées à la situation (une façon polie de dire que ça m’arrive de sortir de mes gonds du fait de mes propres difficultés d’auto-régulation!). Les recherches de Mary Rothbart postulent que ce tempérament change peu au cours de la vie, même si l’auto-régulation peut tout à fait se développer. A ce sujet, Amanda Binns et son équipe ont écrit un article passionnant taillé exprès pour nous les orthos, avec une magnifique carte mentale, j’adore! (Binns & al, 2019).

 

 

Image tirée de aquaportail.com

Claire : Actuellement, quelle est la suite de votre projet de recherche ?

 

Christine : Nous proposons aux orthophonistes intéressées de recruter des familles qui accepteraient de répondre aux deux questionnaires. Les familles peuvent y répondre seules ou au téléphone avec Maelle Roué (étudiante à Poitiers) qui reprend la suite de ce travail. Nous cherchons à augmenter notre population pour obtenir des résultats statistiquement intéressants. C’est un challenge pour nous cliniciens-chercheurs mais c’est passionnant, et surtout les premiers résultats sont encourageants donc on s’accroche! L’idée est d’augmenter et de diversifier la population, nous en sommes à 30 participants, issus de nos deux cabinets donc c’est un gros biais de recrutement. Il nous faudrait aussi plus d’enfants présentant un TDL sans bégaiement, pour explorer les spécificités de cette population. 

La recherche vous intéresse ? Voici comment participer !

Christine, Clément et Maëlle recherchent des participants âgés de 3 ans à 6 ans 11 mois diagnostiqués comme : 

  • des enfants qui bégaient sans troubles associés
  • enfants qui bégaient avec un trouble du langage
  • des enfants fluents avec un trouble du langage.  

Les troubles intellectuels, neurologiques et auditifs sont des critères d’exclusion. 

 

 

Si vous souhaitez nous aider dans ce travail au long cours, vous pouvez contacter Maelle Roué par mail. Elle vous expliquera la procédure pour anonymiser les questionnaires en amont (aucune donnée identifiante ne lui est transmise). 

Vous devrez remplir une courte fiche d’information à remplir avec les données permettant de placer les participants dans les différents groupes. 

Vous conviendrez ensemble de ce qui vous arrange. Il y a plusieurs possibilités: 

  • Maelle vous envoie les questionnaires et vous les transmettez aux parents de vos patients ou que vous les remplissez avec eux à l’oral (A titre d’exemple, je fais remplir le Profil Sensoriel de Dunn à tous les parents d'enfants de moins de 7 ans, comme élément du bilan 
  • Vous faites le lien entre Maelle et les parents et elle leur envoie les questionnaires par mail ou les remplit avec eux par téléphone. 

 

Sachez que cette étude d’a pas d’influence sur le traitement, et que les parents ne remplissent qu’une fois les questionnaires. Vous pouvez bien entendu signaler votre souhait d’accéder aux résultats de l’étude et aussi participer plus activement pour les années futures. 

 

Cette équipe de recherche est très sympa, n'hésitez pas à les contacter !

  • Maelle Roue : maelle.roue@outlook.fr
  • Christine Tournier-Badre : christine.tournierbadre@yahoo.fr
  • Clement Aunis-Oumghar : clementaunis.ortho@gmail.com

 

Et puis quand même... bonne année 2024 !

Et je profite de ce premier article de l'année pour vous souhaiter une merveilleuse année 2024, qui, je l'espère, vous apportera tout ce dont vous rêvez, mais en mieux ! 

 

Pour ma part, mon année 2023 s'est finie en beauté avec l'aboutissement de mon Master 2 en Pédagogie des Sciences de la Santé et la soutenance de mon mémoire, qui s'est fort bien déroulée, la joie de revoir mes proches, de retrouver l'Alsace, et puis aussi de repartir de l'autre côté de l'Atlantique. Cette année 2024 s'annonce exaltante, enivrante et pleine de beaux projets, à l'image de 2023. Le Canada me plaît beaucoup, tant au niveau personnel que professionnel, alors je compte bien rester encore un peu ici... 

 

 

A très bientôt, au Canada, en France, en ligne ou ailleurs !

Références

Binns, A. V., Hutchinson, L. R., & Cardy, J. O. (2019). The speech-language pathologist’s role in supporting the development of self-regulation: A review and tutorial. Journal of Communication Disorders, 78, 1-17. https://doi.org/10.1016/j.jcomdis.2018.12.005

 

Rothbart, M. K., Ahadi, S. A., Hershey, K. L., & Fisher, P. (2001). Investigations of temperament at three to seven years : The Children’s Behavior Questionnaire. Child Development, 72(5), 1394‑1408. https://doi.org/10.1111/1467-8624.00355 

 

Scott, K. S. (2018). Fluency plus: Managing fluency disorders in individuals with multiple diagnoses. SLACK Incorporated.

 

  

D'autres articles qui pourront vous intéresser :

 

 

 

 

                      Vous avez dit EBP ? 

 

 

 


 

Retour à l'accueil

Écrire commentaire

Commentaires: 0