La CAA, ou Communication Alternative et Améliorée, c'était, dans mon esprit, un moyen de communiquer avec des personnes ne pouvant pas communiquer oralement, et j'avais dans l'idée que c'était très compliqué à mettre en place. Bref, cela me paraissait très très loin de ma réalité d'orthophoniste en libéral (en-dehors des signes pour accompagner la parole que j'utilise régulièrement, mais je me suis déjà demandé si l'utilisation des signes en complément de la parole était ou non de la CAA...).
Et pourtant, en lisant des posts sur Facebook, en discutant avec des copines-collègues, je me suis dit qu'il serait peut-être judicieux que je rafraichisse mes vieilles connaissances sur la CAA, qui dataient de mes études. J'ai donc assisté à un séminaire de 2h30 proposé par Oseo Formation, et animé par Christel Pirkenne, orthophoniste, intitulé "CAA : les outils linguistiquement robustes". Quelle révélation !
Je vous partage ci-dessous ce que j'en ai retenu (avec l'accord, et même la relecture de Christel, merci à elle!).
Définition
La Communication Alternative et Améliorée (CAA), pour Elisabeth Cataix-Nègre (1), "recouvre tous les moyens humains et matériels permettant de communiquer autrement ou mieux qu'avec les modes habituels si ces derniers sont altérés ou absents".
La CAA peut être sans aide technique, ou non assistée : il s'agit alors des expressions du visages, des gestes, des vocalisations, des signes...
Elle peut aussi être avec aide technique, ou assistée : il s'agit alors de
- tableaux d'images, d'objets, de lettres
- cahiers, classeurs de communication
- appareils électroniques avec synthèse vocale
Les mythes de la CAA (Romski & Sevcik, 2005)
En 2005, Mary Ann Romski et Rose A. Sevcik (2) ont répertorié dans leur article les mythes qui se sont développés au sujet de la CAA. Pour rappel, un mythe "se définit comme une croyance largement répandue mais qui est erronée. Les mythes cliniques sont issus des croyances professionnelles personnelles ou d'hypothèses sans support empirique".
Mythe n°1 : la CAA est un "ultime recours" dans la rééducation orthophonique
J'avoue que c'est ce que j'ai cru pendant longtemps... oups... qu'on ne proposait de la CAA que lorsque toutes les autres options avaient été épuisées. Mais en faisant cela, on empêche un enfant de communiquer pendant de très nombreuses années (dans les années 1980, on disait de ne pas proposer de CAA avant 8 ans...).
Mais depuis cette époque, de nombreuses données sont apparues et montrent que la mise en place d'une CAA ne doit pas dépendre du fait qu'un enfant échoue à mettre en place le langage oral, ni être considérée comme un ultime recours. En effet, la CAA peut jouer un rôle très important dans le développement du langage et devrait être introduite de manière la plus précoce possible avant toute défaillance de communication.
Mythe n°2 : la CAA freine ou empêche le développement futur du langage oral
Ce mythe va de pair avec le mythe n°1. Il s'agit du sentiment que la CAA deviendra le principal mode de communication de l'enfant et lui enlèvera toute motivation pour parler. Mais cette crainte de beaucoup de parents et de certains professionnels n'est pas du tout confirmée par la littérature scientifique et c'est même le contraire ! En effet, de nombreuses études ont montré qu'au fur et à mesure des acquisitions en langage oral, les enfants diminuent leur utilisation de la CAA, ce qui tend à montrer que l'utilisation de la CAA ne freine pas, mais favorise le développement du langage oral. Romski et Sevcik indiquent même que la mise en place d'une CAA devrait faire partie de nos objectifs d'intervention.
Mythe n°3 : l'enfant doit montrer certaines compétences pour pouvoir bénéficier de la CAA
Pendant longtemps, les enfants avec des troubles cognitifs importants ne bénéficiaient pas de la CAA, car leur développement sensori-moteur et leur intelligence ne correspondaient pas aux capacités qu'on avait reliées au développement du langage précoce. Néanmoins, la relation exacte entre langage et cognition n'a pas été clairement définie et il n'est pas déraisonnable de penser qu'au contraire, le développement du langage par la CAA peut être d'une importance cruciale pour permettre à la personne de progresser sur le plan cognitif.
Mythe n°4 : les appareils de CAA à synthèse vocale sont destinés uniquement aux enfants ayant des capacités cognitives intactes
Un autre mythe en lien avec le mythe n° 3. Pendant longtemps, on disait que les appareils à synthèse vocale étaient réservés aux enfants ayant des capacités cognitives intactes, en raison du coût élevé de l'outil à synthèse vocale, invoquant le fait qu'au vu de la dépense engagée, il fallait que l'enfant en "tire vraiment parti", et en raison de la complexité des outils informatiques. Mais ces deux arguments ne tiennent plus, car les appareils de CAA offrent aujourd'hui de nombreuses options, en terme de complexité mais aussi de prix. Ainsi, il faut bien garder en tête que les outils de CAA sont un outil, un moyen au service de la mise en place de la communication et du langage, et non une fin en soi. "Avoir une voix et pouvoir s'exprimer dès le plus jeune âge peut favoriser l'estime de soi, mais aussi la communication".
Mythe n°5 : l'enfant doit avoir un certain âge pour bénéficier de la CAA
Ce mythe rejoint le mythe n°2 qui fait penser que la mise en place d'une CAA empêchera la mise en place du langage oral. Mais à l'heure actuelle, il n'existe aucune preuve qui confirme que l'enfant doit avoir un certain âge chronologique pour bénéficier d'une CAA. Les recherches montrent clairement l'efficacité des soutiens et accompagnements de la communication pour les enfants très jeunes, jeunes et d'âge préscolaire, présentant divers troubles sévères (cf. l'article de Romski & Sevcik pour les références des études (2)).
Mythe n°6 : il existe une hiérarchie représentationnelle des symboles qui va des objets jusqu'aux mots écrits (orthographe traditionnelle)
Ce mythe fait penser qu'un enfant peut apprendre les symboles en fonction d'une hiérarchie déterminée: d'abord les objets réels, puis les dessins, puis les représentations plus abstraites puis les mots écrits. Néanmoins, Romski et Sevcik citent Namy, Campbell et Tomasello qui ont indiqué que l'acquisition précoce des mots, pour l'enfant âgé de treize à dix-huit mois, n'est pas liée à un mode de référence symbolique spécifique, car son environnement est en phase de développement. En réalité, l'enfant peut utiliser aussi bien des symboles abstraits ou représentatifs, tant qu'il apprend à les utiliser en situation.
Les outils de CAA
Des outils plus ou moins robustes
On entend souvent parler d'outils de CAA robustes, ou moins robustes. Rien à voir avec la solidité matérielle de l'outil ! Dans son "Petit guide de la Communication Alternative et Améliorée", (3) Mathilde Suc-Mella indique qu'il s'agit en fait de critères qui permettent de déterminer si un outil est "complet et robuste et qui garantira l'accès à une communication riche et variée, la plus autonome possible. En effet, l'objectif de la CAA est de permettre d'exprimer ce que l'on veut, quand on veut, à qui l'on veut, de façon intelligible et efficace. Certains outils le permettent et d'autres sont plus limitatifs."
Quels sont ces critères ?
- le vocabulaire de base : il est important que l'outil de CAA dispose d'un vocabulaire de base, constitué de mots utiles et fonctionnels (50 à 400 mots), qui peuvent se combiner entre eux. Ces mots composent la majeure partie de ce qu'on dit dans nos conversations.

- le vocabulaire spécifique : c'est un stock immense de mots qui doit absolument être personnalisé pour que l'utilisateur puisse parler des choses spécifiques le concernant. Il contient des noms, des verbes plus spécifiques que ceux du vocabulaire de base. Sur l'outil de CAA, le vocabulaire doit être équilibré entre vocabulaire de base et vocabulaire spécifique.
- la grammaticalisation complète de la langue : il est indispensable que l'outil puisse proposer de manière simple les conjugaisons, les accords du nom , de l'adjectif, etc.
- la planification motrice : il est absolument nécessaire que les symboles soient toujours.à la même place sur l'outil de CAA, car la localisation soutient la planification motrice, indispensable pour automatiser le geste et avoir plus de ressources attentionnelles pour se concentrer sur ce qu'on veut dire. Donc, pas de blague ! On ne change pas les pictogrammes de place pour s'assurer que l'utilisateur les discrimine bien et les retrouve. L'important est surtout qu'il automatise le "chemin" pour produire des messages. Un peu comme les lettres sur un clavier, finalement...
- la présence d'un clavier : cela permet de pouvoir écrire un mot manquant, et d'aborder l'entrée dans la littératie.
- la voix : si l'outil dispose d'une synthèse vocale, il est important que la voix soit adaptée en âge et en genre, et modulable au niveau de la vitesse (il serait par exemple étrange qu'une petite fille ait une synthèse vocale qui parle avec une voix d'homme).
Des exemples d'outils de CAA
Je ne connais pas du tout tous les outils de CAA, mais voici quelques exemples d'outils robustes (que je ne connais que grâce à la présentation de Christel)... En voici un très rapide résumé.
- PODD : Pragmatic Organization Dynamic Display. Il s'agit d'un tableau de pictogrammes dynamique (car on tourne les pages) à organisation pragmatique (c'est-à-dire que les pages sont organisées selon l'intention de communication).

Exemple de classeur PODD
Image par Hoptoys :
https://www.bloghoptoys.fr/communication-amelioree-alternative-methode-podd-1ere-partie
- TD Snap : cette appli développée par Tobii Dynavox, fonctionne sur Apple et Windows (le prix varie selon la plateforme utilisée). Cet outil permet une utilisation combinée du vocabulaire de base, de thèmes, de phrases rapides, d'aides au comportement, de listes de mots et de claviers. Le langage préformulé permet notamment de réduire les bris de communication et d'accélérer les échanges.

Exemple des mots de base sur TD Snap
- Proloquo2go : cette application, commercialisée par AssistiveWare au prix de 279,99€, fonctionne uniquement sur Apple. Elle met l'accent sur la combinaison du vocabulaire de base, qui est présent sur toutes les pages, et du vocabulaire spécifique. Il y a également des messages préformulés, des tableaux d'activités, etc.

Proloquo2go
Comment apprendre à utiliser une CAA ?
Bien sûr, apprendre à utiliser une CAA n'est pas simple... Mais une chose est certaine, l'enfant apprend à utiliser une CAA de la même manière qu'il apprend à utiliser le langage oral... c'est-à-dire, en imitant ceux qui l'entourent. Il est donc indispensable que l'entourage (l'orthophoniste, mais aussi les parents, les éducateurs, etc.) de l'enfant utilise devant lui la CAA, en plus de la parole, afin de lui montrer le modèle, le plus souvent possible, dans de multiples contextes. Cette pratique permet de soutenir la compréhension ET l'expression.
Patience donc si l'enfant n'utilise pas la CAA d'emblée... n'oublions pas qu'un enfant tout-venant entend longtemps parler son entourage avant de se mettre lui-même à parler.
Et les signes alors ?
Alors finalement, est-ce que les signes que l'on vient utiliser en plus de la parole, sont un outil de CAA ? Ils ne sont pas un outil robuste, mais en tous les cas, ils sont une modalité de CAA, et les recommandations actuelles nous disent d'utiliser la multimodalité. L'utilisation des signes a plusieurs avantages :
- Signer permet de ralentir notre débit de parole, de raccourcir nos phrases et d'utiliser un vocabulaire simple.
- Il n'y a pas de contrainte matérielle (on a toujours nos mains avec nous, contrairement à un outil de CAA que l'on peut pas toujours emmener partout).
Alors... signons ! Et surtout... communiquons ! :)
Et voilà pour ce très rapide aperçu de la Communication Alternative et Améliorée ! Je ne sais pas si j'utiliserai un outil de CAA au cabinet prochainement, mais en tous les cas, ça donne envie de s'y mettre.
Mille mercis à Christel pour la clarté de son intervention et pour sa relecture. N'hésitez pas à assister à son webinaire ou à sa formation, et comme toujours, n'hésitez pas à partager vos expériences en commentaires.
NB : Comme d'habitude, je ne touche aucune commission et ne perçoit aucun avantage si vous achetez le matériel proposé ou vous inscrivez aux formations citées.
Références :
(1). Cataix-Nègre, E. (2017). Communiquer autrement. Accompagner les personnes avec des troubles de la parole ou du langage. Louvain-La-Neuve: De Boeck Supérieur.
(2). Romski, MaryAnn & Sevcik, Rose. (2005). Augmentative communication and early intervention: Myths and realities. Infants & Young Children. 18. 174-185. Traduction française : Nicolas Bec.
(3). Suc-Mella, M. (2019). Petit guide de la communication alternative et améliorée. CAApables.fr. https://www.caapables.fr/wp-content/uploads/2019/10/Guide-CAA-CAApables-1.pdf
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